En consacrant la troisième grande exposition de l'Encan à l'oeuvre d'Ernest Pignon-Ernest, Nathalie Durand-Deshayes à la tête du centre des congrès de La Rochelle marque une nouvelle étape, affranchie du "politiquement correct", dans sa démarche d'ouverture à l'art contemporain. Le travail de Pigon-Ernest, peintre - dessinateur de renommée internationale s'inscrit dans une démarche militante, à la fois artistique et politique. Autodidacte érudit, militant, engagé, l'artiste transcende la virtuosité de son dessin en installant ses grands formats dans l'espace public. Des corps en souffrance, des visages, un hommage aux communards, l'horreur du nucléaire, l'avortement, l'apartheid, le Sida, les immigrés, les expulsés, la guerre d'Algérie, la Palestine... Chez Ernest Pignon le geste artistique n'a d'intérêt que s'il laisse une empreinte et réveille les consciences. Il sérigraphie ses images sur les chutes du papier utilisé pour imprimer sur rotative les journaux quotidiens. Ensuite, comme le font les militants avec leurs affiches, il colle les siennes, souvent la nuit, dans l'espace réel de la rue. Exceptionnelle, l'exposition "Parcours éphémères" retrace en près de 500 "pièces" le processus de création des premières esquisses jusqu'aux photographies "in situ". Visite guidée en compagnie d'Ernest Pignon Ernest qui a le verbe aussi lumineux que son toucher de fusain. À voir absolument jusqu'au 22 août 2010 à La Rochelle l'Espace Encan !
© photo : NM - ubacto - Ernest Pignon Ernest, La Rochelle Espace Encan été 2010
Avec Ernest Pignon-Ernest, Nathalie Durand-Deshayes, directrice des Espaces Congrès de La Rochelle donne une nouvelle dimension au cycle de grandes expositions initié en 2004. La première était consacrée à l'oeuvre de Richard Texier. Cet artiste majeur de renommée internationale qui réside dans la région est aussi une figure bien connue des cercles culturels locaux. La très belle mise en espace de son oeuvre avait permis de (re)découvrir la géographie de ses très grands formats, un ensemble remarquable de sculptures et le très beau volume de la halle de l'Encan. En 2006, La Rochelle avait accueilli une étape de la tournée d'une intéressante exposition sur le thème de Don Quichotte avec de belles pièces signées par une vingtaine de grands noms de l'art d'aujourd'hui comme Combas, Di Rosa, Garouste, Ben, ou Viallat.
Après une parenthèse de quatre ans en s'attaquant à Ernest Pignon Ernest, L'Encan marque un cap dans une ville qui s'est embourgeoisée au rythme de la pression immobilière. La sage programmation de sa scène nationale, de qualité certes mais sans éclat, ni conviction reflète le consensus, souvent mou, du paysage culturel institutionnel local. Dans ce contexte, le choix d'Ernest Pignon Ernest apparaît comme un sursaut salutaire. Cet accrochage estival marque-il enfin le retour des germes de la révolte dans la cité rebelle ?
Si les deux premières expositions étaient déjà d'excellent niveau, celle consacrée à Ernest Pignon Ernest, artiste engagé, "politiquement incorrect" depuis les années 70 présente en plus de sa qualité l'intérêt d'être beaucoup moins consensuelle. Mieux, l'Espace Congrès a même osé organiser une visite guidée en compagnie de l'artiste pour les entreprises qui s'est terminée par un échange sur le mécénat. Partir du cas "Ernest Pignon Ernest" pour aborder la question des ponts entre art et business était gonflé ! Artiste libre et libertaire, il ne travaille jamais sur commande. Même s'il vit de la vente de certains de ses dessins originaux et d'estampes dans des galeries, son parcours suit ses convictions. Dans ce contexte, soutenir l'exposition qui lui est consacrée revient à affirmer : "Moi, entreprise ancrée dans une logique économique, déclare partager les valeurs de libre-arbitre d'Ernest Pigon Ernest et je souhaite que mes collaborateurs, salariés et partenaires soient capables de développer, à chaque fois que cela est nécessaire des facultés et une capacité à se révolter et à entrer en résistance !". Et tout à coup on se prend à rêver que cette exposition ouvrira de nouvelles voies qui agiteront certaines particules endormies dans le fond du bocal local.
Ernest Pignon Ernest - La Rochelle 2010 : une exposition exceptionnelle ; vraiment !
Le magistral volume de la grande halle de l'Encan s'efface pour laisser la place à un dédale très urbain qui fait écho à l'espace qu'investit habituellement Ernest Pignon Ernest quand il colle ses images dans la rue.
Ernest Pignon Ernest a partagé lors d'une visite "guidée" de l'exposition organisée pour les entreprises locales la genèse de son travail ainsi que l'histoire de ses différentes séries. Volubile, passionné et passionnant, à la fois accessible et érudit, il a offert un très beau voyage au coeur de son oeuvre, ponctué d'explications, d'humour et de convictions. Zoom sur quelques unes de ces "escales" à compléter par une longue visite des "Parcours épéhémères" de l'Espace Encan riche de près de 500 pièces : dessins, croquis, travaux préparatoires, affiches originales et photographies !
Hiroshima et l'empreinte : la photographie d'un mur sur lequel le flash atomique a imprimé les ombres d'une échelle et d'une silhouette humaine. Cette image présentée à l'Encan a inspiré la toute première intervention d'Ernest Pignon-Ernest, des empreintes de corps réalisées au pochoir sur des roches et murs du plateau d'Albion et dont il ne reste aujourd'hui plus aucune trace. L'empreinte qui est à la fois une présence et une absence est la meilleure "définition" du travail d'Ernest Pignon-Ernest dont les images sont destinées à s'imprimer dans la conscience des passants et à disparaître physiquement.
1971 - la Commue de Paris : un projet sur La Commune de Paris est le point de départ du travail dans l'espace public. Normalement les artistes sélectionnés pour une exposition collective marquant le centenaire de "la semaine sanglante" étaient invités à peindre des tableaux "traditionnels". Ce format aurait, selon Ernest Pigon Ernest cantonné le sujet et le style dans l'anecdotique ainsi que l'art de la propagande façon réalisme socialiste soviétique ou chinois. Pour s'en détacher, il a choisi de partir de photographies de La Commune pour réaliser une série de gisants. Il "détourne" déjà certaines images, par exemple en intégrant celle du Christ de Mantegna. Il réalise ses premières sérigraphies, très sommaires, et les colle dans des lieux liés à La Commune des marches du Sacré Coeur à la Butte aux Cailles. Il élargit aussi son champ d'action en ajoutant par exemple au métro Charonne, une image qui fait référence à la guerre d'Algérie. Pour Ernest Pignon-Ernest, en se "fondant" dans le paysage urbain, c'est le lieu qui devient, associé à l'image collée "l'objet plastique" qui créé du sens et inscrit sa dimension dramatique dans la mémoire et la conscience du passant-spectateur. Cette installation en 1971 lui a valu un passage au commissariat et en même temps des messages de soutien des syndicats installés rue de Charonne.
Grandeur nature : la taille humaine des personnages d'Ernest Pignon Ernest participe avec la perspective au réalisme de l'impact quand on les croise derrière la vitre d'une cabine téléphonique, au détour d'une rue, sur la façade d'une église...
Nice et l'apartheid : Ernest Pignon-Ernest est niçois. En 1974, le maire de la Ville de Nice, Jacques Médecin, est le seul à oser jumeler sa ville avec Le Cap, la capitale d'une Afrique du Sud infréquentable, mise au banc par les démocraties en raison de son régime d'apartheid. La municipalité pousse jusqu'à organiser une journée de célébration pour ce jumelage. En réaction, Ernest Pignon Ernest installera depuis la place Massena au centre ville jusqu'au stade où se tient un match amical, des images d'humains derrière des barbelés pour dénoncer cette nouvelle entente contre-nature entre Nice et Le Cap. Il poursuivra cette lutte en créant avec le philosophe Jacques Derrida et le peintre Antonio Saura le collectif des "Artistes du Monde contre l'Apartheid" qui prendra la forme d'une exposition qui a tourné au quatre coins du globe. Les oeuvres ont ensuite été offertes au gouvernement démocratique mis en place par Nelson Mandela.
Ernest Pignon-Ernest a été mis à l'écart de la vie culturelle officielle niçoise et ce n'est qu'après la mort de Jacques Médecin que l'artiste a enfin exposé au musée de Nice à l'âge de 55 ans !
Naples, la mort et les femmes : le travail réalisé sur une période de près de dix ans dans la capitale napolitaine offre un "condensé" emblématique de l'oeuvre d'Ernest Pignon-Ernest. La ville et ses 3000 ans d'histoire du Vésuve à la Camorra permettent à l'artiste de répondre à la question de la familiarité avec la mort. L'histoire de l'art, la superposition des mythes, les églises, les femmes et les représentations de la Vierge, le spirituel et le mortel... Homme du Sud, Ernest Pignon Ernest a trouvé dans les pavés noirs en pierre de lave du Vésuve un terrain sur lequel il va sublimer la puissance fragile des noirs de ses images. La texture particulière du "pauvre" papier d'imprimerie qu'il utilise lui permet de "fondre" ses oeuvres dans le dédale des rues.
Les séries napolitaines multiplient les références. Elles permettent de rappeler que le travail d'Ernest Pignon-Ernest est très loin d'être celui d'un copiste ou d'un portraitiste qui excellence dans le style du dessin académique. À chaque fois, il reconstruit l'image qui l'inspire, tableau de maître, photographie, scène de la vie réelle en fonction du lieu où il va l'installer en modifiant par exemple la perspective pour qu'elle s'intègre dans l'espace. Au-delà de la référence, il opère une réécriture des oeuvres ou la réalité pour les transposer dans l'espace public et les inscrire dans sa quête de sens et de questionnement du monde contemporain.
Naples, Le Caravage, Pasolini... C'est à Naples où il s'est réfugié après une accusation de meurtre que Le Caravage a peint son David et Goliath dans lequel il se représente en donnant son visage à la tête tranchée. Ernest Pignon-Ernest a re-cadré et ré-écrit le tableau lui donnant une nouvelle perspective ainsi qu'une référence contemporaine, ajoutant dans l'autre main de David la tête également décapitée de Pier Pasolini, le cinéaste dont il admire l'oeuvre et dont la figure revient souvent dans ses images. Par exemple dans son interprétation du Suaire de Turin qui combine deux références, l'autoportrait de La tête de la Méduse du Caravage et le visage de Pasolini qui remplace celui du Christ.
Les poètes : une série a été installée à Ramallah et en Palesine après l'assassinat de son ami, le poète palestinien Marmoud Darwish. Juste après celle des "cabines téléphoniques", les dernières séries présentées rendent hommages aux poètes : Gérard de Nerval, Robert Desnos, Antonin Artaud, Arthur Rimbaud... Ernest Pigon-Ernest a collé parfois pendant des années leurs images dans différents lieux emblématiques de leurs parcours.
Infos pratiques
"Parcours éphémères", exposition-rétrospective à l'Espace Encan, quai Louis Prunier à La Rochelle jusqu'au dimanche 22 août 2010, tous les jours de 10h à 20h. Contact Espace Encan : 05 46 45 90 90.
Galerie de photos : de superbes images signées par Julien Chauvet pour la Ville de La Rochelle, à voir en cliquant ici.
Sur le web : le site Internet d'Ernest Pignon-Ernest.
Réagir : contacter Nathalie Métayer - ubacto.com - Publié le : 13-Aut-2010